Devenir expert
Compétence professionnelle de haut niveau, rigueur intellectuelle et morale sont indispensables à la fonction d’expert de justice. Dès lors ces qualités sont rigoureusement contrôlées par la cour d’appel pour chaque candidat. Les compétences techniques sont vérifiées à travers la formation, les références, la réputation professionnelle et la notoriété des candidats.
La moralité est déterminée par les renseignements fournis par le candidat éventuellement complétés par une enquête administrative effectuée par exemple par la brigade financière de la police judiciaire.
Le parquet de chaque cour d’appel, remet à tout intéressé un dossier précis de candidature.
Attention
- les candidatures sont nombreuses, les besoins souvent limités.
- les activités d’expert sont indemnisées mais, il ne s’agit pas d’une profession mais d’une fonction confiée à des professionnels en activité au sommet de leur compétence.
Concrètement :
Le dossier d'inscription peut être obtenu sur simple demande au Parquet de la Cour d'appel.
Il doit être remis avant le 1er mars au procureur de la République - Service des Experts - du tribunal judiciaire dans le ressort duquel le candidat exerce son activité professionnelle principale.
Rappelons tout d’abord qu’il n’existe pas de titre « d’expert judiciaire » à proprement parler puisqu’une juridiction, civile ou pénale, peut désigner toute personne, physique ou morale pour répondre à une ou plusieurs questions techniques qu’elle n’est pas en mesure de résoudre par elle-même et desquelles dépend la solution d’un procès.
Cependant, pour aider les juges dans la recherche des spécialistes adaptés aux dossiers qu’ils ont à instruire, il a depuis longtemps été institué l’usage de listes d’experts, classées par spécialité, qui constituent une source dans lesquels les juridictions sont supposées pouvoir choisir le technicien voulu.
Les conditions générales pour être inscrit sur une liste d’experts sont définies par l’article 2 du décret du 23 décembre 2004 : elles ont trait d’une manière générale à l’honneur et la probité du candidat, son expérience et sa qualification dans la spécialité revendiquée, ainsi que sa nécessaire indépendance dans l’exercice de son activité professionnelle.
2 - La procédure d’inscription sur les listesIl y a lieu de distinguer les listes de cours d’appel et la liste dite « nationale ».
2.1 - Inscription sur une liste de cour d’appelDepuis la loi du 11 février 2004, l’inscription se fait en deux étapes et pour une durée limitée :
- une inscription initiale, dite « à titre probatoire », est faite pour une durée de trois ans ;
- à l’issue de cette période probatoire, l’expert doit présenter une nouvelle candidature, qui, si elle est accueillie favorablement, conduit à une réinscription pour une durée de cinq ans, renouvelable.
Pour obtenir son inscription initiale, le candidat doit présenter un dossier mentionnant notamment ses titres, ses diplômes, son parcours professionnel, les travaux qu’il a pu réaliser et d’un manière générale tous éléments de nature à justifier sa qualification dans la ou les spécialités dans lesquelles il demande son inscription. Ce dossier doit également contenir l’attestation de suivi d’une formation à la procédure d’expertise, obligatoire depuis le décret du 16 juin 2023.
Les dossiers de candidatures sont instruits par le parquet du tribunal judiciaire dans le ressort duquel le candidat exerce son activité professionnelle et la décision finale revient ensuite à une assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel à laquelle sont représentées toutes les catégories de juridictions du ressort.
Pour les candidatures à la réinscription dite « quinquennale », les dossiers sont examinés par une commission associant les représentants des juridictions et des experts. Cette commission doit évaluer l’expérience et la connaissance acquises par les intéressés avant que leur dossier ne soit transmis à l’assemblée générale des magistrats du siège.
2.2 - Inscription sur la liste nationaleLa candidature à l’inscription sur cette liste, dont l’établissement relève du bureau de la Cour de cassation, nécessite une antériorité de cinq ans sur une liste de cour d’appel.
La demande doit être présentée par le candidat auprès du procureur général près la Cour de cassation qui instruit le dossier et recueille l’avis du premier président et du procureur général de la cour d’appel auprès de laquelle l’expert est inscrit.
Si l’inscription de fonctionnaires, au sens large, sur les listes d’experts et l’exécution d’expertises par ces agents publics ne pose pas de difficulté majeure, le statut social dans lequel il peuvent exercer résulte de l’application de plusieurs textes légaux et réglementaires dont l’interprétation reste complexe.
Le Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice a consulté sur ce point l’administration qui a proposé l’analyse ci-dessous. Si vous êtes agent public et expert de Justice, il vous appartient de vérifier qu’il n’y a pas eu de changement majeur dans la statut des fonctionnaires depuis la rédaction de cet avis.
Analyse juridique du Bureau du statut général de la Direction Générale de l’administration et de la fonction publique du Ministère de la transformation et de l’action publique en date du 16 juillet 2021 :
L’article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires pose le principe selon lequel les agents publics doivent consacrer leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées et ne peuvent exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit sous réserve des exceptions prévues par ce même article.
Tout d’abord, il convient de rappeler que les modifications de cet article 25 septies issues de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ont eu pour seul objet de modifier les modalités du contrôle déontologique applicable aux demandes de temps partiel pour création ou reprise d’entreprise et d’allonger la durée du temps partiel accordé pour cette raison. Le reste des dispositions relatives au cumul d’activités, notamment celles concernant l’activité accessoire, n’a pas fait l’objet de modification, les dispositions du décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017 relatif à l'exercice d'activités privées par des agents publics et certains agents contractuels de droit privé ayant cessé leurs fonctions, aux cumuls d'activités et à la commission de déontologie de la fonction publique ayant été reprises sur ces points par le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique.
Au regard des dispositions existantes, les agents publics peuvent exercer une activité d’expertise judiciaire dans les cas suivants :
- Tout agent, y compris à temps plein, peut exercer une activité à titre accessoire sous réserve d’obtenir l’autorisation préalable de l'autorité hiérarchique dont il relève. La liste des activités pouvant être exercées à ce titre est déterminée par l’article 11 du décret du 30 janvier précité, elle comprend notamment les activités d’expertise et consultation. Cette activité peut être exercée sous le régime de la micro-entreprise (IV de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 précitée) au sens de l’article 50-0 du code général des impôts (auto-entrepreneur, EURL, EIRL)
- Un agent public peut également créer ou reprendre une entreprise ou exercer une activité libérale à condition de passer à temps partiel, pour une quotité minimale de 50% , et d’en demander l’autorisation préalable à son autorité hiérarchique. Cette autorisation est accordée pour une durée de trois ans maximum renouvelable un an. Toutes les activités peuvent être exercées dans ce régime, y compris l’expertise judiciaire, et ce sous toutes les formes sociales.
- Un agent public à temps non complet, dont la quotité de travail est inférieur ou égale à 70% d’un temps plein, peut exercer une activité privée de toute sorte, y compris l’expertise judiciaire, à condition d’en faire la déclaration préalable à son autorité hiérarchique. Il convient de souligner que cette dérogation s’applique uniquement aux agents à temps non complet, et non aux agents à temps partiel. En effet, le temps non complet relève d’une décision de l’administration est une caractéristique de l’emploi indépendante de la personne qui l’occupe tandis que le temps partiel correspond à une demande de l’agent.
L’exercice de l’ensemble de ces cumuls d’activités est conditionné par la compatibilité de l’activité externe de l’agent avec les fonctions occupées au sein de l’administration ainsi qu'avec les obligations déontologiques applicables aux agents publics (dignité, neutralité, absence de conflit d'intérêts, etc.). A cet égard, le 3° du I de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 précitée dispose qu’il est interdit à un agent public « de donner des consultations, de procéder à des expertises ou de plaider en justice dans les litiges intéressant toute personne publique […] sauf si cette prestation s’exerce au profit d’une personne publique ne relevant pas du secteur concurrentiel ».
Par conséquent, il ressort de l’ensemble de ces éléments que les agents publics, y compris ceux à temps plein, qui souhaiteraient exercer une activité d’expert judiciaire et être rémunérés disposent de différents dispositifs le leur permettant selon la situation dans laquelle ils se trouvent.
L'expertise judiciaire est un des moyens d'administration judiciaire de la preuve.
Elle est une mesure d'investigation technique ou scientifique qu'un juge confie à un « homme de l'art », professionnel reconnu pour son expérience, sa compétence et son autorité dans le domaine requis par la question de fait qui se pose à la juridiction saisie.
- en matière pénale, cette mesure est le plus souvent ordonnée par le juge d'instruction dans le cadre des informations dont il est saisi ; elle peut l'être également par une formation de jugement, si celle-ci l'estime nécessaire au regard des éléments du dossier qui lui sont présentés ;
- en matière privée et en matière administrative, le juge peut également recourir à l'expertise lorsque les parties le demandent ou de sa propre initiative.
En France, l'expertise est une prérogative exclusive du juge et lorsque les parties la demandent, le juge n'est pas obligé de l'ordonner.
L'expert judiciaire est un auxiliaire de justice qui a prêté serment ; il exerce sa mission en toute indépendance.
Cette indépendance n'exclut pas un double contrôle :
-
Par le juge
L'expert effectue sa mission sous le contrôle du Juge d'instruction (ou de la formation de jugement) en matière pénale, et sous l'autorité d'un juge chargé du contrôle des expertises en matière civile. -
Par les parties
En matière civile, les parties sont étroitement associées aux opérations de l'expertise et peuvent formuler toutes observations pendant le déroulement de celle-ci. En matière pénale, les parties sont destinataires des rapports d'étape que l'expert peut être amené à déposer avant son rapport définitif.
L'expert remet un rapport dans lequel il doit répondre strictement aux questions qui lui ont été posées. Il apporte ainsi au juge un avis technique sur lequel celui-ci pourra s'appuyer pour fonder sa décision. Les conclusions de l'expert ne lient pas le juge mais, en pratique, elles sont le plus souvent déterminantes.
La rémunération de l'expert est à la charge du Trésor Public en matière pénale et à la charge des parties en matière civile. Dans tous les cas, cette rémunération est fixée par le juge qui a ordonné l'expertise après le dépôt du rapport.La loi s’efforce de prévoir et de régler les conflits. Le juge dit la loi. Mais le juge est-il apte à dire si un bâtiment est construit dans « les règles de l’art », si un accidenté de la route est invalide à 20 ou 50%, pourquoi une machine ne fonctionne pas ? Le juge ne peut être à la fois juge, médecin, architecte ou ingénieur. Il a très souvent besoin d’un spécialiste pour l’éclairer. Bien entendu ce spécialiste doit être compétent, rigoureux et d'une honnêteté irréprochable. A cet effet la justice sélectionne des professionnels dans tous les domaines et les nomme «experts de justice». Pour chaque procès, le juge peut désigner toute personne compétente. En général il choisit un expert de justice sur la liste de sa Cour d’appel mais il peut également exercer son choix à partir des listes établies par d'autres cours d’appel ou sur la liste nationale (experts agréés par la Cour de cassation). Le CNCEJ regroupe des compagnies d'experts dont les membres adhèrent volontairement à une déontologie. Celle ci a la reconnaissance des magistrats (les compagnies sont les interlocuteurs des Cours et le CNCEJ l'interlocuteur de la chancellerie) et elle a même l'approbation de la République (le CNCEJ est une association déclarée d'utilité publique). Il existe au moins un lieu où l'on veille à la qualité de la démarche expertale, c'est le CNCEJ. Un expert qui adopte la déontologie du CNCEJ est un expert sûr.
Quelques témoignages d’experts...
« Lorsque j’ai entrepris la préparation du diplôme d’expertise comptable, mon maître de stage, un grand nom de l’expertise judiciaire, m’a fait participer à quelques missions d’expertise qu’il avait en cours. D’abord intrigué par cette discipline totalement nouvelle pour moi, j’ai été assez vite convaincu par ses nombreux attraits : la rigueur de la démarche, le caractère didactique des rapports et la noblesse de l’objet, à savoir la contribution à une bonne administration de la justice. C’est rapidement devenu une vocation. »
« Il y a déjà longtemps, j'ai fait une école dont la devise était « pour la Patrie, les Sciences et la Gloire ». Au cours d’une carrière, on n’a guère de temps de se préoccuper de tout cela, mais cela marque quand même. Arrivé dans la dernière partie de ma carrière, celle où on constate que l’on a plus de passé que d’avenir, je trouve très gratifiant de pouvoir mettre son expérience professionnelle à la disposition de la justice et de permettre à des gens qui n’ont que des raisons de s’agresser, de mieux apprécier la réalité objective des choses. »
« Parce que dans le métier d'expert immobilier, il y a très peu de reconnaissance officielle de cette profession qui est libérale et ouverte à tous. Le titre d'expert de justice en matière immobilière représente donc un titre reconnu, mais cela suppose une certaine expérience et une reconnaissance pas ses pairs tant technique que morale. Cela constitue un objectif qu'il faut tenir, car il est remis en cause tous les 5 ans, voire avant en cas de faute grave. »
« Poussée par un mandataire liquidateur disant que le ressort manquait d'experts de qualité, j'ai déposé mon dossier sans aucune conviction. Une première fois, refusée, j'ai mis du temps à renouveler ma demande. Mais, acceptée la deuxième fois, il m'a fallu me pencher sur le NCPC. J'avais 33 ans. Et je me suis prise au "jeu". J'ai tendance à être curieuse et précise donc cette activité me va parfaitement puisqu'elle développe les sens de la recherche, de la rigueur, de la rencontre avec l'autre. Toutefois, en Province au moins, un expert est modestement rémunéré et cela peut empêcher de brillants esprits d'adhérer à la démarche. Ceci est bien dommage pour l'œuvre de justice. »
« parce que le serment d'Archimède, méconnu mais équivalent à celui d'Hippocrate pour les ingénieurs, m'y convie :- Considérant la vie d'Archimède de Syracuse qui illustra dès l'antiquité le potentiel ambivalent de la technique,
- Considérant la responsabilité croissante des ingénieurs et des scientifiques à l'égard des hommes et de la nature,
- Considérant l'importance des problèmes éthiques que soulèvent la technique et ses applications,
Dans le choix et la réalisation de mes projets, je resterai attentif à leur contexte et conséquences, notamment des points de vue technique, économique, social, écologique. ... Je porterai une attention particulière aux projets pouvant avoir des fins militaires. Je contribuerai, dans la mesure de mes moyens, à promouvoir des rapports équitables entre les hommes et à soutenir le développement des pays économiquement faibles.
Je transmettrai, avec rigueur et honnêteté, à des interlocuteurs choisis avec discernement, toute information importante, si elle représente un acquis pour la société ou si sa rétention constitue un danger pour autrui. Dans ce dernier cas, je veillerai à ce que l'information débouche sur des dispositions concrètes. Je ne me laisserai pas dominer par la défense de mes intérêts ou ceux de ma profession. Je m'efforcerai, dans la mesure de mes moyens, d'amener mon entreprise à prendre en compte les préoccupations du présent serment. Je pratiquerai ma profession en toute honnêteté intellectuelle, avec conscience et dignité.
Je le promets solennellement, librement et sur mon honneur. »